EXTRAIT DU MAG DE MAI 2022Auteur Fred PORCEL

Les énergies renouvelables ont le vent en poupe, c’est le cas de le dire. L’intérêt affiché pour la transition énergétique, surtout verbal en France pour l’instant, cache une question plus importante : quelle électricité voulons-nous en 2050 ?

On m’a demandé si, dans l’article du mois dernier, la légende illustrant la photo d’une voiture électrique en train de charger, « Rouler électrique, 2 euros / 100 km » était exacte. Je dois avouer que non. Notre Zoé consomme 15 kWh/100 et nous chargeons en heures creuses à 11 centimes TTC le kWh. Le coût des 100 km est donc d’1,65 euro.

L’ÉLECTRICITÉ A PRESQUE TOUTES LES VERTUS
L’électricité n’a pas que son prix comme avantage. Outre qu’elle peut être verte ou presque, ce vecteur énergétique1 est plus performant que les autres. Voilà pourquoi, dans la plupart des scénarios de transition énergétique, la consommation électrique augmente car elle vient remplacer d’autres énergies, moins efficaces et/ou plus polluantes.
Dans les transports, l’industrie, le bâtiment… Si rien ne s’y oppose par ailleurs, notre civilisation consommera donc plus d’électricité mais, au final, moins d’énergies. C’est ça, la transition énergétique.

L’électricité a bien des atouts, mais elle a un problème majeur : le stockage. À l’échelle d’une maison, d’une usine, voire d’une petite commune, des solutions existent. À celle d’un pays, c’est impossible. La consommation nationale d’électricité est si gigantesque qu’aucun système combinant barrages, STEP et batteries ne suffirait à alimenter un pays plus de quelques heures, sans doute moins, si le réseau national venait à manquer d’électricité.

ÉQUILIBRER LE RÉSEAU EST INCONTOURNABLE
Or il est là, le problème qui anéantit les débats aussi passionnés qu’approximatifs entre les pro et les anti, nucléaire ou éoliennes par exemple : puisqu’il ne peut rien stocker, un réseau électrique doit, en permanence et instantanément, produire exactement l’électricité demandée. Quand vous allumez la radio pour écouter Joe Dassin, quelque part dans une centrale électrique un rotor s’active pour vous envoyer à une vitesse relativiste les électrons dont Joe a besoin. Pas à votre voisin et pas demain : à vous et maintenant.
Quels que soient les conditions météo et les évènements extérieurs, le coeur du réseau électrique français doit battre à 50 hertz, la fréquence du courant qu’il produit et qui se prolonge jusque dans nos prises. Chaque écart entre production et consommation fait instantanément varier cette valeur à l’échelle du pays entier et son seuil de tolérance est très faible. Si le réseau ne parvient pas à la maintenir, des mécanismes automatiques de protection ont quelques minutes avant de se mettre en sécurité et s’arrêter. Les centrales stoppées laissent alors à celles toujours en fonction la charge de compenser. Si ces dernières n’y parviennent pas, une réaction en chaîne peut débuter, menant au black-out d’une région ou d’un pays.

Les conséquences peuvent se chiffrer en milliards de la monnaie que vous préférez et avoir de sérieux impacts : accidents, coupures d’eau, arrêt des moyens de transport, fin inopinée de L’été indien… Et la remise en fonction d’un réseau entier prend du temps, on ne rallume pas la lumière d’un pays avec un gros interrupteur installé quelque part. En Europe et aux États-Unis, tout le monde y a déjà eu droit. Dans les pays en développement – pour ceux qui ont accès à l’électricité – c’est le lot quotidien des citoyens. En 2012, l’Inde a connu la plus grande panne d’électricité de l’histoire, touchant 670 millions d’usagers. En France, le dernier black-out total date de 1978, mais d’autres plus limités ont eu lieu depuis.

Pour les éviter autant que possible, RTE, qui gère le réseau électrique haute tension français, possède un centre névralgique à Saint-Denis, pas très loin des divers sièges du groupe SNCF. Ce CNES4 est chargé de prévoir avec précision la consommation nationale 24 heures à l’avance, minute par minute, et de vérifier que les différents fournisseurs seront en capacité de produire l’électricité demandée au bon moment. D’autre part, cette tour de contrôle surveille en temps réel le réseau, 24/24 et tous les jours de l’année : à chaque instant, des systèmes successifs de réserves interconnectés en Europe veillent à l’adéquation parfaite entre consommation et production. Vu les quantités d’électricité en jeu et la vitesse de réaction nécessaire, la prouesse technique est juste phénoménale.

COMMENT INTÉGRER LES RENOUVELABLES DANS LE FUTUR MIX ?
Alors « Les éoliennes c’est moche, le nucléaire c’est dangereux, le photovoltaïque ça prend de la place… », tout ça génère des pétaoctets de data sur les zéros sociaux, mais n’a pas grand intérêt. Je ne sais pas si la vérité est ailleurs, toutefois la vraie question sur les renouvelables l’est, même si les producteurs d’électricité n’ont pas le choix. Ils doivent se tourner massivement vers elles et le font déjà, pour des raisons écologiques et économiques notamment car elles sont, relativement à d’autres, assez simples et peu coûteuses à construire. Aucun institutionnel ne prétend le contraire et RTE a émis des hypothèses de mix énergétique 2050 avec des taux très élevés de renouvelables non pilotables. Arbitrer entre les divers scénarios devrait toutefois être un choix issu d’un débat citoyen, car leurs impacts financiers, sociaux et « d’habitudes de vie » sont très différents.

En effet, s’il faudra toujours équilibrer 24/7 le futur réseau, il faut auparavant évaluer tous les aspects de ces futurs mix : les ressources (naturelles, financières, techniques, humaines) existent-elles ? Pour quel coût de fabrication et d’usage ? À quelle échéance seront-elles disponibles ? Avec quels risques et impacts environnementaux sur leur cycle de vie ? Surtout, comment la disponibilité de l’électricité sera-t-elle assurée ? Car contrairement aux centrales classiques où il suffit de tourner le robinet pour faire varier la production, le problème des renouvelables, c’est qu’on ne peut pas la piloter. Tout ou plus la réduire, mais pas l’augmenter. Quand il n’y a ni vent ni soleil, à St-Tropez ou ailleurs, on boit frais et on attend.